La plus grande île de la Méditerranée est pétrie de feu. Ses nombreux volcans ont façonné tant la terre sicilienne que le foisonnant imaginaire qui l’entoure. Car c’est dans l’Etna – dont l’étymologie « aith » signifie « je brûle » – qu’Héphaïstos, dieu grec du feu, tenait sa forge. Mais la Sicile émerge aussi d’une eau fabriquée de mirages qui faisaient fuir les marins : le détroit de Messine abriterait le château de la Fée Morgane. Lorsque les conditions météorologiques le permettent, de minuscules gouttelettes d’eau raréfiée suspendues dans l’air agissent comme une loupe grossissante, reflétant le paysage sicilien dans la mer ou dans le ciel et rapprochant de soi les moindres détails de l’île. C’est à ce mirage que succomba un roi à qui la Fée Morgane était apparue, lui promettant de posséder ce qu’elle lui montrait : il s’avança vers le paysage qu’il pensait être à deux pas de lui et se noya dans la mer.
Ces légendes disent à quel point cette terre est tant redoutée pour les forces naturelles indomptables qui l’animent, que convoitée, elle qui fut si souvent occupée par les différents peuples conquérants, des Phéniciens aux Arabes, en passant par les Grecs. Attirés par ses sols fertiles et son emplacement stratégique entre l’Afrique et l’Europe, ils y laissèrent de nombreux vestiges : temples, théâtres et forteresses, mais aussi pièces de monnaie, mosaïques et morceaux de poterie qui refont surface de temps à autre.
Le terroir de la Sicile est à l’image de la richesse bousculée de son histoire : on y trouve sept types de sol ; ses paysages sont variés, majoritairement composés de collines et de côtes, rocheuses au nord et sableuses au sud ; sa végétation tangue entre flore méditerranéenne et subtropicale ; son climat est hétérogène, soumis à une importante amplitude thermique, invitant la pluie mais aussi le sirocco, vent qui nait pourtant dans le désert africain et charrie le sable du Sahara. Le tout en proie à une intense activité volcanique. Les vignerons se sont résignés à cet environnement : sur ces flancs de colline impossibles d’accès aux machines, la cueillette reste manuelle, et la répartition espacée des plants prend en compte les possibles irruptions de l’Etna, ce qui fait qu’ils sont entourés d’oliviers, de figuiers et d’agrumes ou d’espaces sauvages qui préservent l’équilibre des lieux. La vigne, elle, s’est adaptée : les vignobles sont plantés en altitude, souvent en terrasse. Les sols volcaniques qui ne permettent pas aux parasites comme le phylloxera de se développer, protège les vignes, ce qui fait que certaines, plantées il y a plus de cent ans subsistent encore.
La production de vin en Sicile – qu’on peut faire remonter à plus de trois millénaires – a eu un fort penchant productiviste au XXème siècle. Les dix millions d’hectolitres de vins annuellement produits dans les années 70 étaient expédiés en vrac vers d’autres régions d’Italie et d’Europe, servant à composer l’assemblage d’autres vins, et leur donnant plus de corps. De cette période, les viticulteurs siciliens ont ramené avec eux des cépages cultivés ailleurs, tels que le Cabernet Sauvignon, le Merlot ou la Syrah. Mais, depuis, la qualité des crus siciliens s’est imposée, notamment avec les cépages autochtones tel que le Nero d’Avola, le Nerello Mascalese et le Nerello Cappuccio en rouge, ou le Carricante et le Grillo en blanc, qui comptent parmi les 85 cépages autochtones de l’île. Ceux-ci ont réussi à prendre une place de choix au niveau régional et international, certainement bénis par les feux de l’Etna.